EXEMPLE DE BONNE COPIE
Façades maritimes et développement économique dans l'espace Asie-Pacifique depuis les années 1950.
(HEC 1999)
Note : 16/20
Appréciations du correcteur : Un point de vue intéressant, des connaissances, même si la dimension historique est un peu passée sous silence. C'est bien.
Constellée de milliers d'îles, l'Asie-Pacifique semble naturellement tournée vers la mer. Ce rapport, à la fois central culturellement et porteur d'un lourd héritage historique, devient, avec l'accélération du développement économique du Japon dès les années 1950, puis le reste de l'Asie-Pacifique à partir des années 1970, un enjeu majeur. Théoriquement, il permet de nourrir une réflexion sur les interdépendances entre développement économique et façades maritimes: sont-elles fécondes ou au contraire sources de déséquilibres tant géographiques et économiques qu'écologiques? La pollution est-elle le prix à payer pour un développement intensif? Façades maritimes et développement économiques sont objet d'interdépendances en Asie-Pacifique, même si le rapport à la mer varie entre pays d'une région artificiellement perçue comme homogène. Si ces interdépendances sont souvent fécondes, elles sont aussi source de déséquilibres régionaux et écologiques. Elles sont donc centrales pour trois débats: celui du rôle de l'Etat dans le développement économique, à travers la mise en évidence de ses capacités à l'inscrire harmonieusement dans l'espace par un aménagement du territoire volontariste; celui des rapports de force en Asie-Pacifique; mais aussi la question de savoir si maritimisation et modialisation vont nécessairement de pair.
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La mer semble l'horizon indépassable des pays d'Asie-Pacifique, les façades maritimes le centre naturel du développement économique. Les raisons en sont à la fois géographiques et historiques. Tout d'abord, l'Asie-Pacifique est constituée de milliers d'îles (7000 rien que pour l'archipel nippon) qui seraient, selon la légende, une poignée de grains de millet jetés par Bouddha lui-même. Elles constituent aussi une sorte de frontière commune entre ces pays, l'interface entre les pays d'Asie; entre eux, mais aussi avec le reste du monde, lorque l'on connaît la diminution du prix du fret (divisée par 14 dans la première moitié du siècle). Elle est source de contraintes (climat océanique, manque d'espace) mais aussi de richesse (pêche). Bien plus, les efforts faits pour maîtriser ainsi que leurs fruits occupent une place centrale dans la culture asiatique et sont un facteur d'explication des mentalités (frugalité, rapport traumatique avec l'étranger depuis les bateaux noirs du Commodore Perry...); bien qu'il ne faille toutefois pas en exagérer la validité.
Le développement économique s'est donc inscrit prioritairement et très précocement dans les facades maritimes de l'Asie-Pacifique. En 1950, 63% de l'industrie japonaise est déjà littorale et les années de haute croissance ne feront qu'accentuer cette tendance. En Asie, le port est déterminé par l'usine et, avec la mondialisation de l'économie et l'intensification des échanges, les complexes industrialo-portuaires ont acquis une importance décisive dans la logique industrielle elle-même (quand on assiste au découplement des activités de conception, production et assemblage). Offrant les plus grands ports à containers du monde (Hong-Kong,...), les façades maritimes sont donc un facteur déterminant de la position de l'Asie-Pacifique dans l'éconmie mondiale car elles conditionnent ses échanges, son industrie et leur développement. Les façades maritimes deviennent donc en Asie à l'échelle du monde (mégalopole japonaise construite face à la mer qu'elle maîtrise pour les transports).
Pourtant, les facades maritimes n'occupent pas partout en Asie-Pacifique la même place. La mer peut être une protection face à l'extérieur et les façades maritimes n'avoir qu'une importance relative comme en Malaisie (que le nationalisme militant du président Mahathir pousse au développement autocentré). Elle peut être au contraire la plus formidable des ouvertures: jonction entre deux mondes en Chine, où les façades maritimes sont l'interface entre la Chine continentale et le monde; moyen nécessaire de s'inscrire dans ce monde pour des petits pays comme Taïwan ou la Corée, pour qui les façades maritimes sont devenues, avec l'internationalisation de leur économie à partir des années 1970, l'unique moyen d'exister à travers leurs échanges avec les pays voisins ou le géant américain qui leur fait face; enfin, pour le Japon, les façades maritimes semblent être devenues le monde lui-même en concentrant 90% de la production industrielle sur le littoral pacifique et, par contraste, avec un Japon de "l'envers" (Kokkaido et le littoral Nord). Cette typologie met en évidence la diversité des façades maritimes asiatiques, reflet d'une hétérogénéité plus profonde qu'il n'y paraît de la façade pacifique asiatique.
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Ces interdépendances entres les façades maritimes et le développement économique semblent indépassable et souvent fécondes. La mer offre la richesse naturelle de la pêche qui permet à des pays étroits peu propices à l'agriculture de réduire le déficit alimentaire (Japon, Indonésie,...). Elle permet aussi certaines productions industrielles nécessitant l'eau comme la sidérurgie et, surtout, elle est un atout majeur pour la production industrielle à l'heure de la mondialisation. En simplifiant les transports, la mer permet de produire indépendamment des facteurs wéberiens de déterminisme, ainsi que des marchés de consommation. Ansi, les ports à container émergent à proximité des usines (comme c'est le cas pour Toyota à Hamamatsu ou Daewoo en Corée) et leur permettent une stratégie globale tant dans la production que dans le commerce. Les façades maritimes, en concentrant l'économie, facilitent les communications intérieures (cabotage, rentabilité des aménagements comme le Shinhansen), mais permettent surtout l'ouverture au monde en facilitant l'échange et en étant attrayantes pour des industries délocalisées par les pays tiers.
Pourtant, ce développement intensif des façades maritimes d'Asie est surtout source de déséquilibres. Sur le plan géographique tout d'abord, en reléguant les terres au rang des périphéries, comme c'est le cas en Chine où le réseau de communication polymodal aménagé à Shanghai contraste avec la pauvreté de l'intérieur majoritairement rural, peuplé de paysans sans terres et sous-équipés. Ce contraste est presque aussi important au Japon où le littoral pacifique concentre peuplement, équipement et production aux dépens du Japon de "l'envers" et d'Hokkaido. Mais les déséquilibres sont aussi d'ordre écologique. Les ravages causés par l'industrialisation massive des façades maritimes posent le problème du développement durable pour des pays dont le littoral a été exploité comme une marchandise.
Là encore, toute réflexion sur les conditions des interdépendances entre développement économique et façades maritimes ne peut que profiter d'une distinction entre les pays de l'Asie-Pacifique. Pour des petits pays ouverts comme Taïwan, la Corée du Sud ou Singapour, la mer apparaît comme le seul horizon et les déséquilibres régionaux une contrepartie acceptable au développement, bien que la contrainte écologique se fasse de plus en plus pressante. Mais la Chine et le Japon ne semblaient pas présenter le même déterminisme et la question se pose de leur oubli du développement de l'intérieur et du privilège donné aux façades maritimes. L'échec du volontarisme étatique d'aménagement du territoire semble offrir plusieurs leçons.
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La Chine a clairement donné la priorité aux villes sur les campagnes comme le montrent les choix faits au cours des inondations de 1997 où une superficie équivalente à trois fois celle de la France a été inondée pour protéger les villes, laissant des millions de paysans sans rien. Elle a donc axé son développement sur celui de son littoral. Mais cet oubli, ce choix délibéré ne semblent pas avoir échu au Japon, où l'aménagement du territoire a fait, dès les années 1960, l'objet d'un volontarisme étatique pour "remodeler l'archipel" (titre des différents plans) en contrebalançant le développement de la mégalopole pacifique par celui de la côte nord-ouest et la promotion de Sapporo (à Hokkaido) comme métropole d'équilibre. Pourtant, ces tentatives de rééquilibrages ont toutes connu un échec relatif car la priorité semble toujours avoir été donnée au développement économique intensif sur un un développement durable et à la primauté de la logique économique sur la logique géographique. Ce fut le cas dans les années 1960 où la volonté d'Ikeda de doubler le revenu national nécessitait une industrialisation intensive sur des bases déjà existantes; de même face aux crises de 1973 ou de 1997, force a été de donner priorité à la défense de l'économie. Cet échec de l'aménagement du territoire est symptomatique d'une apparente incapacité des Etats d'Asie-Pacifique à inscrire leur développement dans le long terme. Le rôle des façades maritimes comme agents désequilibrants pour les territoires nationaux est donc central dans l'enjeu du rôle de l'Etat pour le développement mondialisé des nouveaux pays industrialisés et sur le choix de ses priorités.
L'Asie est d'ailleurs le point de mire dans le débat sur la maritimisation de l'économie mondiale. Ses équipement pionniers (ports à containers,...) semblent être des exemples de l'évolution nécessaire d'une économie bâtie autour des échanges. Les avantages offerts par la maritimisation de l'économie s'inscrivent dans une logique globale. En effet, le développement des façades maritimes permet de penser production industrielle et échanges à l'échelle de la planète, le coût des transports n'intervenant que de façon marginale dans le prix des biens échangés. A ce titre, l'Asie-Pacifique pourra être riche d'enseignements pour les conséquences de la mondialisation sur les territoires nationaux, les avantages et les distorsions qu'elle va induire.
Enfin, les face-à-face entre les façades maritimes d'Asie-Pacifique et les conflits territoriaux qu'ils induisent (contentieux entre la Chine et l'Indonésie sur les îles Spratley, enjeu du contrôle des détroits de Formose et de Malacca par lequel transite le quart du commerce mondial) sont autant de rapports de force qui posent la question de l'aptitude de chacun à dominer la région. Les prétendants sont nombreux. La Malaisie voudrait être pionnière d'un asiatisme militant mais semble peu crédible au vu de son poids économique. Le Japon, géant économique mais nain politique, voit sa position remise en cause par son rôle pertubateur dans la crise de 1997 et de statut de pays développé remis en question. La Chine, promue puissance stabilisatrice par Clinton (pour son refus de dévaluation du yuan) a pour elle sa main-d'oeuvre et son poids politique; mais les déséquilibres qui la minent lui interdisent le rôle de modèle. Une chose est sûre dans ce débat : la capacité de chacun à trouver la voie d'un développement durable et à remédier aux déséquilibres géographiques et écologiques entrera en compte dans l'affirmation en tant que modèle. Les corrections apportées au développement des façades maritimes des pays d'Asie-Pacifique joueront donc un rôle central dans les rapports de force et l'équilibre régional.
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Les façades maritimes ont donc, en Asie-Pacifique, une importance grandissante depuis les années 1950. Leurs évolutions, sous l'effet conjoint du développement économique intensif et rapide de ces pays émergents et de la mondialisation, ont mis à jour des interdépendances nécessaires, fécondes, mais aussi lourdes de conséquences en termes d'écologie et d'équilibre régional. Leur analyse est donc centrale dans les grands débats sur les effets du développement et de la mondialisation, d'une nécessaire intervention de l'Etat et de son efficacité dans la recherche d'un développement durable et équilibré. Toutefois, la diversité de ces façades maritimes, leurs oppositions mettent en évidence les diversités régionales et renouvellent la question de l'unité de l'Asie-Pacifique et de l'éventuelle possibilité de lui trouver un chef de file : peut-on parler d'une Asie-Pacifique région unifiée, ou encore d'un modèle asiatique?
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