EXEMPLE DE BONNE COPIE

Les mutations de l'espace industriel américain depuis les années 1960, reflet ou facteur des mutations économiques et sociales aux Etats-Unis ? (ESSEC 1993)

Note : 19/20

Appréciations du correcteur : Devoir très intelligent, remarquablement informé, construit et rédigé. Un savoir assimilé restitué avec originalité, rigueur dans la rédaction et la construction.

 

Depuis les années 60, certains, comme Paul Kennedy, dans The Rise and the fall of Great Power, parlent d'un déclin absolu de l'économie américaine, mettant en évidence le phénomène de désindustrialisation. En 1945, les Etats-Unis produisaient 50% des richesses mondiales; aujourd'hui, ce chiffre est descendu à 25%. Ce déclin est symbolisé par la crise de la manufacturing belt avec l'apparition de villes fantômes comme Detroit. Parallèlement, on assiste à une montée en puissance des régions du Sud, avec la Californie, le Texas, la Floride,... Ainsi, les mutations de l'espace industriel américain depuis les années 60 sont-elles le reflet ou le facteur des mutations économiques et sociales aux Etats-Unis ? Les années 60 marquent une rupture dans l'espace industriel américain, à l'aval d'un nouveau contexte économique qui bouleverse et multiplie les facteurs de localisations industrielles. Aujourd'hui, l'espace industriel semble plus équilibré, mais il demeure quelques interrogations.

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Les années 60 : facteurs de localisation prédominants

 

Ce nouveau contexte économique et géopolitique remet en cause un espace industriel hérité de facteurs de localisations qui prédominent lors de la première et de la deuxième révolutions industrielles.
En 1960, l'espace industriel américain est dominé par la région du Nord-Est des Etats-Unis, regroupant les grands lacs et la façade atlantique. On retrouve ainsi l'automobile à Detroit, la sidérurgie à Pittsburgh, les industries de produits de grande consommation comme le textile à Chicago ou à New-York, les constructions navales à Baltimore. Cette localisation est le résultat de quatre facteurs essentiels. Tout d'abord, suivant un schéma wébérien de localisation, les industries s'implantent sur un site qui optimise au maximum le coût d'approvisionnement de l'énergie et des matières premières. La ville de Pittsburgh illustre parfaitement cette exigence. De même, la production automobile implantée dans la région de Detroit profite de l'acier produit à Pittsburgh. Dans le prolongement, les facilités de transport constituent également un facteur explicatif. Le Nord-Est des Etats-Unis bénéficie d'infrastructures dense et complémentaires. La manufacturing belt regroupe la moitié des réseaux routier et ferroviaire du pays. Ou encore, l'aménagement de canaux - comme le canal Erié liant les grands lacs à New-York - facilite largement l'implantation d'industries. Enfin, cette localisation s'appuie sur un marché de main-d'oeuvre et un marché de consommation abondant. Il s'agit, en effet, essentiellement d'industries employant beaucoup de main-d'oeuvre, comme le textile, la sidérurgie... De plus, ces industries s'intègrent parfaitement à la régulation fordiste qui concilie le marché de main-d'oeuvre et le marché de consommation. La mégalopole atlantique, avec plus de 50 million d'habitants, constitue le marché de consommation quantitativement et qualitativement le plus important du monde. Plus largement, la région du Nord-Est et le Midwest représentent plus de 50% de la population américaine.
Cependant, à partir de 1960, les mutations économiques, géopolitiques et technologiques remettent en cause ces facteurs de localisation.

 

Mondialisation de l'économie et espace industriel américain

 

On assiste tout d'abord à une mondialisation des économies, liée à une croissance accélérée des échanges. Elle conjugue plusieurs facteurs. Dès les années 60, l'Europe s'affirme comme la première puissance commerciale du monde. Le Japon, après la période de reconstruction, connaît une "croissance industrielle miraculeuse" (plus de 10% par an). De plus, depuis 1945, le commerce mondial a été sécurisé par un système monétaire international stable, la création du GATT qui favorise la baisse des tarifs douaniers surtout après 1960. Ainsi, le Kennedy Round et le Tokyo Round assurent la baisse de 30% des tarifs douaniers sur les produits manufacturés. Enfin, on doit noter une révolution technique des transports maritimes qui assurent les trois quart des échanges mondiaux, avec une course au gigantisme, une spécialisation accrue des navires, la contenarisation, les techniques de tramping ... Ainsi, dans un contexte de crise à partir de 1970, la concurrence étrangère semble être un facteur déstructurant de l'espace industriel américain. Cela se manifeste par une crise de toutes les industries traditionnelles implantées dans la manufacturing belt. On parle désormais de la Rust Belt.
Dans la même période, la guerre du Vietnam accélère le processus de glissement du centre de gravité industriel vers l'Ouest. La Californie bénéficie des retombées du complexe militaro-industriel et, plus largement, des commandes publiques (20% du PIB). Enfin, parallèlement à la crise, on assiste à une nouvelle révolution techonologique avec la diffusion de l'informatique, de la télématique et l'essor de nouvelles industries comme la bio-technologie.
Au terme de ces mutations, on constate une évolution plus qu'une révolution des anciens facteurs de localisation précédemment décrits. La réponse à la localisation sur les matières premières et l'énergie a été la littoralisation des industries, qui permet un approvisionnement à moindre coût, dès lors qu'elles se situent sur le point de rupture de charge. La sidérurgie s'est notamment localosée à Baltimore, Philadelphie, Galvestone. De même, l'essor de la région du Golfe du Mexique avec La Nouvelle Orléans, Corpus Christi, Houston, s'explique par l'importation de minerais de fer, de cobalt et de pétrole venus des pays du Tiers-Monde. La nature des transports a également changé. Ce qui s'impose maintenant c'est la vitesse et l'intermodalité. Il s'est ainsi constitué des noeuds de communication importants comme Denver. L'industrialisation d'Atlanta procède, entre autres, d'un trafic aéroportuaire important. Le critère principal de la main-d'oeuvre n'est plus nécéssairement le nombre mais la qualité. La localisation à proximité d'universités et de centres de recherche est de plus en plus courante. Ainsi, on retrouve nombre d'universités prestigieuses comme Stanford, Berkeley, UCLA près de la Silicon Valley.
Au regard de ces évolutions, il semble que l'importance de ces facteurs ait diminué au profit du marché de consommation. L'industrialisation de la Californie en est un parfait exemple. Il s'agit de l'Etat le plus peuplé, qui croît le plus en termes de population et d'implantations industrielles (automobiles, électronique).

 

Le passage de la Sun Belt à l'économie de service

 

Cependant, la remise en cause de ces facteurs de localisations ne peut rendre compte totalement des mutations de l'espace industriel, avec grossièrement deux grandes mutations : le déclin de la manufacturing belt et l'essor de la Sun belt. Ainsi, on peut relever une multiplication des facteurs de localisations, un passage à une économie post-industrielle ou plutôt une respécialisation vers les industries de pointe très peu contraintes à un déterminisme géographique.
Tout d'abord, les aménités climatiques, l'exigence de qualité de vie sont désormais des facteurs de localisations industrielles. Au-delà de la présence du silicium dans la Silicon Valley, son essor répond à ces nouveaux critères. De même, le Texas, la Floride sont considérés comme des "paradis climatiques" à l'amont de l'essor industriel. Par ailleurs, ces même régions de la Sun Belt bénéficient d'interfaces porteuses. La californie est au coeur des échanges pacifiques et mexicains. Le commerce pacifique a dépassé, depuis les années 80, le commerce atlantique.
Enfin, sans parler d'aménagement du territoire volontariste, on peut affirmer que l'Etat fédéral et les Etats ont contribué aux mutations de l'espace industriel. Par le biais des commandes publiques, surtout à partir du complexe militaro-industriel, l'Etat a impulsé l'essor de la Californie, du Texas, du Massachussets (le budget militaire dépassant les 300 milliards de dollars par an sous Reagan). Les Etats, sous forme d'aides fiscales et d'investissements dans les infrastructures ont attiré de nombreuses industries. On peut rappeler le rôle de Reagan en Californie et celui de Dukakis dans le Massachussets dans ce sens. Tous ces facteurs ont facilité le déplacement du centre de gravité industriel vers le Sud. Ce mouvement a été d'autant plus rapide que la population se caractérise par sa mobilité et son dynamisme. Tous les cinq ans, la moitié des Américains changent de logement. De même, l'immigration a permis ce phénomène. Plus de 3000 Mexicains traversent la frontière chaque jour pour travailler en Californie.
Au-delà de ces facteurs, il semble que l'espace industriel a été mû par le changement de nature de l'économie américaine. Certains ont parlé de société post-industrielle dominée par le tertiaire (plus de 70% de l'activité). Ou encore, on peut constater une respécialisation vers les industrieshigh tech sacrifiant dès lors les industries traditionnelles. L'impact géographique de la tertiarisation de l'industrie (tertiel, service aux entreprises) est d'autant plus grand que les industries high tech et même les autres industries (dont la fonction de production a baissé au profit des fonctions de gestion et de commercialisation) ne répondent désormais plus à aucun déterminisme géographique.
On a même parlé de foot lose company. Ceci permet donc une diffusion des indutries sur tout le territoire. L'essor du télétravail et de la télématique rend compte de cette mobilité.

 

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Au total, l'espace industriel est aujourd'hui marqué par une importance encore grande mais déclinante de la manufacturing belt, l'essor des Sun Belt et un espace entre les deux, sous-industrialisé. Néanmoins, l'évolution récente interdit de parler d'un espace cohérent. La crise du Texas, liée au contre-choc pétrolier et à l'économie de la détente, illustre cette instabilité. Par ailleurs, les émeutes de Los Angeles en 1992 nous poussent à nous interroger sur ces métropoles gigantesques, très industrielles, dont la croissance n'est plus contrôlée. Enfin, la perspective du marché du libre commerce avec le Canada et le Mexique doit interroger sur la pertinence d'une politique d'aménagement du territoire.





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