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EXEMPLE DE BONNE COPIE
Deux évolutions du système socialiste : la transition en Russie et la "voie chinoise". Comparez et évaluez. (Essec 2003 - Voie Scientifique)
Note : 20/20
Appréciations du correcteur : Il a été décidé de donner la note maximum à cause de la rare originalité et de l'intelligence manifestée par le candidat dans son exposé.
Beaucoup de penseurs se sont interrogés sur la transition du capitalisme vers le communisme, peu sur l'inverse. Si le système capitaliste a, en Russie, enterré l'ancien système socialiste, la Chine, quant à elle, suit une voie moyenne, le «socialisme de marché » : des éléments d'économie capitaliste dans un cadre politique dictatorial et d'idéologie «communiste». On peut faire remonter le début de la «transition» vers le système capitaliste en Russie à l'introduction de mesures de type capitaliste par Gorbatchev en 1986-1987 mais cette «transition» se remarquera surtout par sa brutalité avec l'effondrement de l'URSS (Union des Républiques Soviétiques Socialistes) en 1991. En Chine, l'introduction de la voie chinoise s'opère en 1978 avec les quatre modernisations et reste l'œuvre de Deng XiaoPing. On parlera donc de deux évolutions de deux types de système socialiste. Mais, ce qui guidera notre analyse du sujet est ceci: cette évolution peut être vue comme une mutation du système socialiste lui-même pour le réformer et le rendre modèle mais elle peut être aussi perçue comme la marche vers la disposition du modèle socialiste vers son remplacement par le modèle capitaliste. On peut alors parler d'aboutissement ou non. Mais des critères tant à cette évolution qu'à cet aboutissement doivent être fixés pour la comparaison des deux voies : puissance économique, production industrielle et agricole, population active, insertion mondiale, croissance, productivité-,
des critères qualitatifs - développement, disparités -, conservation ou efficacité de la réforme ou/et de la disparition de critères politiques - rôle du parti et de l'Etat, idéologie.
A l'aide de tels critères, peut-on comparer les deux voies quant à l'efficacité de la sauvegarde des principes politiques et économiques socialistes ou bien quant à celle du remplacement du système socialiste par le système capitaliste? Peut-on mener alors une telle comparaison puisque la «transition» russe semble trop brève et la voie chinoise apparaît comme une «voie», apparemment non aboutie mais dont on fixera les aboutissements?
L'évaluation d'une voie par rapport à l'autre doit-elle uniquement se fixer sur l'aboutissement au système capitaliste ou bien sur les résultats économiques, critère par critère?
Ainsi, la comparaison de la «transition» russe et de la voie chinoise montre l'introduction commune d'éléments capitalistes de brutalité différente : une transition ou un changement brutal de système économique (I) ; mais les méthodes employées et les résultats en terme de développement, de puissance économique et de persistances politiques et idéologiques montrent des divergences profondes comme certaines convergences dans la comparaison (II) ; ce qui pose toute l'ambiguïté des critères pour évaluer une voie par rapport à l'autre (III). On différenciera comparaison sur la période entière et comparaison à des dates particulières.
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A la fin des années 1970 et au début des années 1980, une réforme radicale est nécessaire en Chine comme en Russie imbriquée dans l'URSS, les héritages montrant des convergences et des divergences; les années 1980 montrent des méthodes différentes en Chine et en Russie d'introduction d'éléments capitalistes; enfin, les années 1990 montrent deux évolutions vers le capitalisme radicalement différentes en Chine et en Russie.
En URSS, les années 1970 sont marquées par l'immobilisme brejnevien sur le plan économique. La réforme Lieberman de 1965 n'a duré que deux ans. La production industrielle se réalise à 75 % par des entreprises de plus de 100.000 salariés et le secteur B n'en constitue que les 2/5. Economiquement, la Chine a une production industrielle qui se concentre sur la sidérurgie et le bâtiment; les mesures de rénovation des entreprises ont été abandonnées dès 1972, d'autant plus que les tentatives de réformes n'étaient engagées que politiquement dans le cadre de la révolution culturelle.
Cependant, la population active russe comporte 4 % de paysans tandis que seulement 34 % d'ouvriers forment la chinoise en 1974. Dans les deux cas, tout le pouvoir politique encadre fortement la population. Si Brejnev rétablit le culte de la personnalité, Mao s'appuie sur Liu Shaoqi et Lin Biao, multipliant purges et arrêts de dissidents.
Une réforme urgente de la «tentative de réforme avortée en URSS» et du désastre économique de la Révolution culturelle en Chine est donc nécessaire à la fin des années 1970 - début des années 980. En effet, l'immobilisme brejnevien et les luttes vaines de la bande des quatre, animés par la femme de Mao en Chine après 1976 ont totalement paralysé l'appareil économique. En URSS, Andropov (1982) puis Tchernenko (1984) lancent la réforme Experiment pour tenter d'adopter une gestion plus autocentrée de l'entreprise, puis le programme scientifique «Complexe». A partir de 1978, Deng XiaoPing lance les quatre modernisations.
En Russie, dans le cadre de l'URSS, Gorbatchev, arrivé au pouvoir en 1985, entreprend deux réformes plutôt «capitalistes» : une gestion propre des entreprises de plus de 100.000 salariés et l'apparition du «marché» pour les productions agricoles individuelles. Sur le plan politique, la Glasnost, «transparence», répond à la Pérestroika économique où le «marché» s'étend aux entreprises petites et moyennes (6200 salariés).
En Chine, si l'agriculture a subi une réforme en 1978-1979 pour la production libéralisée du lopin individuel, la suppression des «communes populaires» fait écho à trois grandes mesures uniquement économiques durant les années 1980 : une réforme de la gestion des entreprises, une ouverture de la production de celles-ci au commerce extérieur et, surtout, la création des zones économiques spéciales (ZES), comme Shenghen, sur la façade pacifique. Ces ZES seront étendues en 1984, puis en 1987 avec l'Ile de Hainan.
On le voit, c'est la gestion de l'évolution politique qui diffère durant les années 1980: très rapide vers la libéralisation politique influant réciproquement sur la libéralisation économique en Russie, alors que les mutations politiques sont inexistantes en Chine. Sur le plan économique, La Chine utilise les facteurs externes: flux d’investissements directs à l'étranger, formation d'une dynamique régionale, alors que les facteurs externes ne sont pas utilisés en Russie jusqu'en 1990.
A partir de 1990, le système communiste s'effondre en Russie. Après la chute du mur de Berlin en 1989 et les indépendances baltes, la tentative de putsch de 1991 puis la démission de Gorbatchev la même année sonnent le glas de l'URSS. La corruption et les mafias gonflent et les tentatives de Tchernomyrdyne restent sans effet sur les mesures pour la transition à l'économie capitaliste.
A l'inverse, jusqu'en 1997, la corruption est «utilisée» à bon escient par Deng XiaoPing qui n'hésite pas à «naviguer» entre les courants, faisant même des concessions à ses opposants. Signalons qu'à l'inverse de Gorbatchev, Deng XiaoPing a une certaine crédibilité quant aux fondements du système communiste et ses réformes auprès de la population, vu qu'il a fait la longue Marche.
La transition apparaît donc comme quasi-inexistante sur le plan des mesures étatiques vers l'adoption du nouveau système capitaliste en Russie. A l'inverse, le PCC (parti communiste chinois) adopte une transition graduelle: en 1992, le principe d'entreprise est reconnu au XIVème Congrès du Parti Communiste Chinois, puis le marché en 1997 et enfin certains principes capitalistes en 2002. A l'inverse, des tentatives de mesures capitalistes en Russie avaient entraîné la fin de ce système.
Nous ne pourrions néanmoins arrêter notre comparaison aux méthodes employées et à la brièveté ou au caractère graduel de la transition. Il faut s'intéresser à la réalisation de celle-ci et aux résultats grâce à des critères de comparaison.
Les succès économiques sont différents en Chine et en Russie; de même l'évolution politique tandis que les résultats en terme de développement font apparaître des nuances de part et d'autre.
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Sur le plan de la réaction à la conjoncture économique extérieure, la voie «russe» a montré plus de fragilités que la chinoise durant les années 1990. A part une inflation «importée» durant les années 1970, l'URSS était économiquement coupée de l'économie mondiale sur le plan financier et des places financières. Le renversement de cette ouverture et imbrication dans l'économie mondiale a montré ses graves conséquences avec la crise du rouble en 1998, suivie d'une forte dévaluation. A l'inverse, le yuan faible a dopé les exportations de la Chine après 1994 qui a été, avec Taiwan, la seule nation à avoir un taux de croissance positif en 1997, date de la crise des pays d’Asie du Sud-Est.
En réalité, la Chine est doublement mieux intégrée à l'économie mondiale que la Russie. Elle est insérée dans le commerce agricole international - deuxième producteur de blé, premier producteur de riz - et les flux financiers internationaux, étant en 1997 le deuxième récepteur d'IDE mondiaux. De plus, les provinces à la main d'œuvre peu chère du Hunan, du Shandong et du Guangxi et les ZES permettent à la Chine d'entrer dans la division du travail et la régionalisation au sein de la Façade d'Asie pacifique.
Enfin, soulignons la dynamique différente des entreprises russes et chinoises. Alors que la Russie conserve des entreprises gigantesques et non rentables, seul le secteur pétrolier sur le site de Bakou III a montré une hausse sensible de production en 1999. C'est le cas de GAZPROM, par exemple, géant pétrolier russe. Beaucoup d'entreprises chinoises sont gigantesques, comme State Power (980.000 employés) ou SINOPEC (pétrole, 810.000 employés) mais la Chine se distingue par des PME innovantes dans les nouvelles technologies, comme dans la banlieue de Pusan ou le triangle Dalian- Pékin-Séoul (en Corée).
De plus, l'évolution politique n'est pas la même en Chine et en Russie. Si, à partir de 1993, un semblant de démocratie est apparu en Russie par le rétablissement officiel de la Douma (Parlement), la dictature demeure en Chine, même confirmée par la voix de Deng XiaoPing lors du XIIIème Congrès du PCC ou par les faits: répression violente de la place Tien-An-Menh en 1989.
En réalité, l'élection de Vladimir Poutine au suffrage universel en 2000 en Russie a confirmé la démocratie du régime politique en Russie, bien que beaucoup d'anciens oligarques restent au pouvoir et que la corruption et les mafias constituent une économie souterraine allant jusqu'à 25 % du PIB de la Russie en 2001. De plus, l'accident d'hélicoptère du général Lebed en 2000 a montré que le pouvoir restait aux mains de lobbies. En Chine, la population a été surpolitisée durant l'ère maoiste et la «dépolitisation» n'est concrète que depuis 1997, date du XVème Congrès du PCC.
Enfin, en terme de développement, des comparaisons font apparaître certaines convergences entre la Chine et la Russie, tout comme des divergences. En effet, une classe moyenne est clairement apparue en Russie depuis 1991, de même en Chine depuis le milieu des années 1980. Cependant, elle a, en Russie, énormément pâti de la crise de 1998 et n'est soutenue que par un faible système social. A ce titre, il faut donc souligner l'influence de politiques ultra-libéralistes en 1996 et 1997 en Russie sur le plan économique et donc la différence nette avec l'évolution de la Chine. En effet, la classe moyenne chinoise s'est accrue autour des premiers expatriés de la diaspora chinoise qui ont fait leur retour en Chine (comme à Shanghai) ; elle se concentre dans les centres urbains qui se sont épanouis durant les années 1980, autrefois largement freinés par Mao qui, par ses hauts fourneaux, souhaitait «amener l'industrie à la campagne». La population rurale constitue néanmoins toujours 43 % de la population chinoise totale, alors que les paysans ne constituent guère que 4 % de la population russe depuis 1952!
Toutes les classes sociales chinoises bénéficient en outre d'un système hospitalier, certes improductif, mais existant dans la Chine de l'Est. Serait-ce un des mérites de la voie chinoise d'avoir su conserver un aspect «socialiste» ?
Néanmoins, si le niveau de vie russe n'a rien à voir avec celui de ses partenaires du G7, le niveau de vie chinois, qui a fortement progressé durant la période 1991-1999, cache d'énormes disparités. De plus, les provinces de l'intérieur de la Chine restent fortement isolées et, même à l'intérieur des ZES et des provinces côtières, les disparités entre pôles urbains et milieux ruraux, déficience accrue par l'exode rural - quasi-inexistant à l'inverse en Russie -, sont patentes. Certaines villes comme Shanghai ou Pékin vampirisent l'espace environnant et les problèmes d'aménagement de l'espace semblent dangereusement repoussés à l'avenir ou «contenus», comme par la fin de la construction du barrage des Trois Gorges prévu pour 2003.
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Ainsi, des nuances apparaissent entre la Russie et la Chine au sujet des critères utilisés pour comparer les deux pays. Evaluer leur voie par rapport à l'autre est alors considérer deux aspects: la prise en compte globale ou partielle de ces critères et l'aspect idéologique de l'aboutissement ou non de la transition.
Les résultats économiques montrent la puissance évidente de la Chine, mais si l'on tient compte de l'effectivité de la transition à la «démocratie de marché», les évolutions changent ; tout dépend, en fait, de l’angle de vue : soit une voie qui a abouti pour la Chine par ses résultats, soit la transition pure et simple au capitalisme.
La Chine a réussi à avoir 10 ans de croissance ininterrompue entre 1991 et 2001. Ce critère économique quantitatif se double, de plus, d'un accroissement qualitatif de La production, puisque la remontée de la filière a réellement eu lieu entre les années 1980 et 1990 : la Chine produit aujourd'hui des éléments électroménagers et entreprend des partenariats de production et d'échanges de technologies avec des constructeurs automobiles européens (comme Volkswagen). Le PIB de la Chine s'élevait en 2001 à 1190 milliards de dollars, alors que celui de la Russie avoisinait celui du Mexique.
Pour autant, le constat peut être nuancé. Certes, la Chine, en participant au sommet de l'ASEAN en 2001 avec la Corée du Sud et le Japon, montre ses potentialités de moteur économique d'une zone régionale par les «triangles de croissance» qu'elle possède au Sud-Est et au Nord-Est. Néanmoins, l'annexion en 1997 par la Chine de Hong-Kong, cité-Etat «capitaliste» ne saurait cacher une dépendance inverse : celle d'une dépendance à l'égard de capitaux étrangers. A l'inverse, la Russie, par ses potentialités territoriales au bord de la Mer Caspienne, possède des réserves pétrolières capitales aujourd'hui.
De plus, au sujet des succès économiques de la Chine, ne peut-on pas nuancer le propos et ne pas ériger comme seul facteur le «socialisme de marché» ? Sans tomber dans un quelconque déterminisme social, Les valeurs confucéennes, par exemple, jouent un rôle certain dans l'esprit entrepreneurial en Chine.
En outre, les limites en terme de développement ont été montrées en Chine. Les populations à l'Ouest appartiennent encore, pour certaines, au Tiers-Monde, comme au Tibet, situation quasi- inexistante en Russie. De plus, «comme» en Russie, toutes proportions gardées, où la population a repris les pratiques religieuses parfois supprimées sous l'ère communiste, La population chinoise se remarque par le retour du «vieil homme», c'est-à-dire l'autorité paternelle ou des valeurs familiales d'autrefois, par exemple. Ainsi, les pratiques idéologiques socialistes montrent un certain déclin dans les milieux ruraux et urbains en Chine. Si l'objectif de la voie chinoise n'est pas un relâchement politique et idéologique du socialisme comme Le PCC l'a réaffirmé en 2000, alors de sérieuses nuances sont à apporter quant au succès politique de cette voie.
En réalité, raisonner ainsi en terme de démocratie de marché pour La Chine comme pour la Russie est faux, du moins mal approprié et reste une critique «occidentale». En ce sens, on pourrait considérer que la voie du socialisme du marché, si elle vise à entretenir une idéologie autoritaire menée par le Parti et produire des succès économiques, a finalement abouti. Sur le plan du libéralisme politique, La Russie apparaîtrait donc comme satisfaisante.
Remarquons cependant une convergence entre la Russie et la Chine sur le plan de minorités ou de populations «allogènes». Autant la Chine par sa mainmise sur le Tibet que la Russie par ses exactions en Tchétchénie furent rappelées à l'ordre sur la question des droits de l'homme en 2000. Sur ce plan, aucune voie ne primerait finalement sur l'autre.
Enfin, sur le plan de l'adoption du capitalisme, si on le considère comme l'aboutissement de la transition, la Russie aurait donc, sur la forme, réussi ce passage, entériné par son admission au G7. Mais si l'on prend en compte l'aspect graduel donné dans la définition du mot «transition», la Chine aurait prouvé l'efficience et les résultats obtenus de ses moyens pour réussir cette transition. Le rôle de L'Etat, largement dirigiste et autoritaire sur le plan de la production en Chine, inexistant en Russie auprès des PME et de l'apport d'infrastructures économiques, est, à ce titre, révélateur de son importance. Enfin, la réussite de la Chine demeure son ouverture sur elle-même, à l'inverse de la Russie: au-delà de toutes considérations politiques, idéologiques ou économiques, la voie chinoise aurait été alors efficace.
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Ainsi, économiquement, la «transition» en Russie tout comme la voie chinoise sont une mutation du système socialiste vers le capitalisme dont les aboutissements différemment incomplets en Russie et en Chine, peuvent être comparés. Les succès économiques de la Chine - puissance mondiale et régionale, puissance industrielle et agricole - montrent que, sur ce plan, la voie du socialisme de marché, graduelle, est plus efficace que la brutalité en Russie du changement de système. Cependant, signalons qu'il s'agissait de deux types de système socialiste différents, d'âges différents dans des cadres sociaux et démographiques différents et dont les réformes antérieures aux années 1970 étaient de nature différente. En outre, les critères de développement ont montré les nuances de la voie chinoise et certaines convergences, certes avec des nuances, sont apparues sur ce plan entre les deux voies. Mais, politiquement, c'est l'évaluation des deux voies qui pose un dilemme: soit la voie chinoise peut n'être envisagée qu'économiquement et comme l'ouverture de la Chine sur elle-même: en ce cas, elle est un succès, soit cette voie est un chemin vers une double mutation, politique et sociale: alors l'évolution vers la «démocratie de marché» n'est pas terminée. Aucune évaluation n'est alors possible d'autant que cette révolution politique pourrait dérégler les succès économiques du «géant chinois»,
Dans ce cas, l'avenir pourrait-il montrer que la voie «d'arrimage» à des démocraties de marché dans le
cas des PECO avec l'UE (Union Européenne) est la meilleure voie pour l'aboutissement politique et
économique en question?
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